LE VERCORS SE PREPARE AU COMBAT

Les premiers parachutages:
Le 13 novembre 1943, un premier parachutage confirme aux maquisards du Vercors qu'ils ne sont pas oubliés. Mais les suites en seront pourtant fort néfastes, car ce largage n'a pas été récupéré en totalité par ceux qui en avaient la charge; d'autres groupes, alertés, se sont servis. Cet incident survient alors que, certains responsables de la Résistance font effort pour que le Vercors soit intégré, sans particularismes ni privilèges dans l'organisation commune. Convoqué par le commandant Descour (1) devant les instances supérieures de le Résistance régionale, le capitaine Le Ray s'estime suspecté de « féodalisme ». Il présente aussitôt sa démission. Pris de court, Descour l'accepte! Le Ray connaissait bien les problèmes du Vercors. Membre des deux « comités militaires », il en avait rédigé le «plan d'utilisation militaire ». Apprécié et respecté de tous, il avait acquis la confiance de Chavant le « patron» civil. Pour succéder à Le Ray, Descour désigne le lieutenant Geyer (2), promu capitaine à cette occasion. Cet officier du 1l ème Cuirassiers, intrépide baroudeur, avait constitué, dés l'invasion de la zone sud, un maquis aux armes de son ancien régiment, au sud du camp de Chambaran, dans la foret de Thivollet, qui lui fournira son surnom «
Thivollet » ou « La Thivollet ». Début janvier 1944, il rejoint donc le Vercors avec sa troupe solide et bien organisée. Guerrier respecté, chef de maquis efficace, mais de caractère difficile, il n'aura jamais avec les civils l'aisance de son prédécesseur, jamais un contact confiant avec Chavant. Cependant les parachutages de matériels se poursuivent, allant de quelques uns à quelques centaines de containers, mais avec un chargement quasi standard (3) : armes légères et munitions, explosifs, quelques vêtements et du matériel sanitaire. Pourtant, dans l'esprit du «plan montagnard », les responsables du Vercors demandaient un peu d'armement lourd: canons antichars, mitrailleuses et mortiers. Début janvier 1944 est larguée la mission de liaison interalliée « Union », aux ordres de l'anglais Thackwaits (4). Celui-ci parcourt le Vercors et acquiert la conviction de son intérêt stratégique. En conclusion du rapport qu'il remet lui-même à Londres, début mai, il propose le parachutage d'un état major de bataillon et d'une compagnie d'armes lourdes, avec canons, mortiers et mitrailleuses. C'était aller dans le sens du plan «montagnard », mais Thackwaits n'envisageait pas d'autre forme de défense au Vercors qu'une défense agressive et très mobile. Le plan « montagnard » est-il toujours valable? Pourtant les parachutages se poursuivent, sans modification de leur contenu. En Vercors les responsables s'inquiètent: le «plan montagnard» s'inscrit-il réellement dans les projets de Londres? Le Vercors est-il bien destiné à jouer un rôle important lors du reflux allemand? Quand seront envoyés les renforts espérés et l'armement lourd indispensable? La question devient si brûlante que Chavant, « le patron », réussit, non sans multiples contretemps, à se rendre à Alger, le 23 mai, il y rencontre le chef du« centre opérationnel des projets spéciaux », auquel il expose les besoin du Vercors, confirme les zones de largage et d'atterrissage se planeurs. Il suggère l'envoi de 2 500 parachutistes. «Nous vous en enverrons 4 000 », lui est-il répondu! Le 5 juin, Chavant, de retour en France, rencontre Descour et lui montre la décision écrite qu'il rapporte d'Alger: «les directives données en février 43 par le Général V. ( V. pour Vidal c'est à dire Delestraint) pour l'organisation du Vercors demeurent valables. Leur exécution sera poursuivie » C'est signé: pour le général de gaulle, Jacques Soustelle, secrétaire général du comité d'action. Chavant est convaincu, Descour aussi: le plan montagnard reste parfaitement valable. Est-ce pourtant aussi sûr? Pierre Dalloz, « l'inventeur du plan », a rejoint Alger, fin novembre 43, après un long périple. Il a présenté son projet à Dewavrin, chef du bureau central de renseignements et d'action, chargé des relations avec la Résistance Il en a parlé avec Louis Joxe, secrétaire général du Comité Français de Libération Nationale, avec le colonel Billotte et avec bien d'autres. Nulle part, il n'a obtenu l'intérêt qu'il espérait, ni aucun engagement ferme. Il a trouvé l'atmosphère d'Alger chargée d'intrigues et de discorde. «La Guerre, écrira-t-il, c'est la guerre de Gaulle-Giraud ». Envoyé à Londres en février 44, Pierre Dalloz n'y trouve pas, dans les milieux français, un accueil plus ouvert qu'à Alger. Refusant d'entrer dans le jeu politique, il n'obtient aucune prise de position en faveur du Vercors.
Les raids allemands, de janvier à avril 44. Les allemands aussi se posent des questions sur le Vercors et tout ce qui s'y prépare. Aussi profitent-ils de toute occasion pour y lancer des raids redoutables.
Le 22 janvier 44 une forte colonne s'engage dans les grands goulets et malgré deux embuscades successives, atteint le plateau et le traverse jusqu'au Rousset. Elle confirme ainsi, que les meilleurs obstacles naturels ne valent que défendus avec des troupes entraînées et un armement approprié. Le 29 janvier, les allemands surprennent et détruisent le camp de Malleval aux confins nord-ouest du Vercors (5). Le 3 février, ils attaquent au sud-est le monastère d'Esparron, d'où les maquisards réussissent heureusement à se dégager. Le 18 mars, un nouveau raid vise, à la Matrassière, prés de St Julien, le P.c. que le colonel Descour a fait préparer pour le moment où il rejoindra les combattants. Tout est détruit. Ainsi en deux mois les allemands ont réussi 4 raids précis qui font apparaître plusieurs constantes: ils sont toujours bien renseignés; toujours plus nombreux que leurs adversaires, bien mieux armés, très manœuvriers, ils éprouvent des pertes minimes, alors que les maquisards sont massacrés. pendant et après les combats; la population civile subit, bien souvent, d'effrayants sévices. Dans ces quatre affaires, pour 4 ou 5 allemands tués, le maquis a perdu 32 hommes et la population 18 personnes. Rappelons aussi qu'en cette fin mars 44, à 120 km au nord, les allemands viennent de détruire le solide maquis des Glières. Aussi de nouvelles consignes, sont-elles diffusées en Vercors pour modifier radicalement le comportement des maquisards: abandon des camps, dispersion par petits groupes ou retour au village pour ceux qui le peuvent, réduction des actions de guérilla. Il était temps, car les allemands inaugurent aussi une nouvelle tactique: ayant fait encercler le massif par les G.M.R. et les gendarmes mobiles, ils poussent la milice sur le plateau Elle y cantonne du 16 au 23 avril, y multipliant les exactions, sévices et fusillades, principalement contre la population, car celle-ci protège efficacement les maquisards dispersés dans les zones d'accès difficile (6). Fin mai le colonel Descour désigne un nouveau chef militaire (7) : le chef d'escadrons Huet qui s'est illustré au Maroc et en 1940: simple, très direct, de caractère assuré, mais serein, il obtiendra vite la pleine autorité sur ses troupes et la confiance de Chavant (8).
La bataille.
Les prémices, ou ... le temps des incohérences. Le 5 juin, jour où rentrant d'Alger, Chavant a rencontré Descour et lui a confirmé la validité du « plan montagnards» ; ce même 5 juin donc, la B.B.C. diffuse les messages d'action qui prescrivent le redoublement des actions de résistance, pour aider le débarquement. Pour maintenir les allemands dans l'incertitude sur le lieu de l'offensive, tous les messages sont diffusés, sans distinction de zones géographiques, y compris celui du Vercors «
le chamois ()es alpes bon()it ». Partout les maquis vont se jeter dans une guérilla généralisée et le sabotage des communications. Pour le Vercors, c'est la mise sur pied de guerre, le rappel des maquisards, la mobilisation des compagnies sédentaires, le bouclage des entrées et sorties du massif. Mais le 6 juin c'est en Normandie que le débarquement des alliés, à 700 km du Vercors, tout à fait hors de l'hypothèse du « plan montagnards ». Huet, lucide et appuyé par Chavant, décide de ne rien faire sans une nette confirmation. Descour au contraire, confiant dans les instructions d'Alger, fait transférer son P.C. en Vercors, où il arrive le 8. Il prescrit la mobilisation immédiate: dés le 9, des centaines d'hommes rejoignent le massif. De 450 combattants entraînés le 6 juin, les effectifs montent à 1 500 le 9 au soir, pour dépasser bientôt 3 000, souvent sans formation militaire (9). Le 10 juin le malentendu apparaît, lorsque, par la B.B.C., le général Koenig, responsable des F.F.I. donne l'ordre: «Freiner au maximum activité guérilla ... rompre partout contact, … éviter gros rassemblements, ...» en raison de l'impossibilité de fournir un soutien correct en armes et munitions, car le potentiel aérien est consacré en priorité à l'appui immédiat du débarquement. Au Vercors, ce contre-ordre ne semble pas exécutable: les mobilisés qui affluent se sont découverts il n'est pas possible de les renvoyer chez eux. Le seul recours semble de rappeler à Alger les besoins de renfort et les demandes d'armement lourd.

à suivre....

Général MAITRE
Janvier 1995


(1) Le chef d'escadrons Marcel Descour, membre actif de l'organisation clandestine de l'armée d'armistice, a été désigné dès janvier 43 comme chef de l'Organisation de Résistance de l'Armée (O.R.A.) pour la région RI (Lyon). Il sera en 44 chef d'état major des Forces Françaises de l'Intérieur pour la même région.
(2) Le lieutenant Narcisse Geyer, fils d'un officier tué en 1918, est un intrépide guerrier qui s'est fougueusement battu en 1940 et se révélera un très efficace chef de maquis. Mais son caractère entier favorise peu la communication, alors que son cheval, son képi et le fanion à fleur de lys du II ème Cuirassiers, conduisent certains résistants civils à
le considérer comme un affreux royaliste. .
(3) Les charges standard de plusieurs containers renferment: 6 fusils mitrailleurs BREN avec chargeurs et 6 000 cartouches, 27 mitraillettes STEN chargeurs et 7 000 cartouches, 36 fusils et 5 000 cartouches, 5 pistolets et 250 cartouches, des grenades MlLLS, 8 kg de plastic avec détonateurs, 160 trousses médicales.....D'autres charges contenaient des bazookas, , aucune ne recelait d'armes lourdes.
(4) Le français de cette mission, le colonel Fourcaud, alias « Sphère» s'est cassé la jambe et rejoindra seulement en février. Il semble avoir beaucoup fait pour orienter le «plan montagnard» dans un esprit de « bastion défensif», fort éloigné de la vision initiale de Dalloz et des idées de Thackwaits.
(5) Ce camp établi par les cadres du 6ème RC.A. sur la bordure nord-ouest du massif, reste indépendant de l'organisation proprement dite du Vercors, avec laquelle il est simplement en liaison. Deux ou trois jours avant l'attaque allemande, l'abbé Henri Grouas avait quitté ce camp, sous le nom de guerre qui l'a depuis rendu célèbre: l'abbé Pierre!
(6) Des traîtres venus de l'extérieur, en particulier la jeune maîtresse du chef de la milice, avaient malheureusement
réussi à s'infiltrer et renseignaient les miliciens.
(7) La position de Geyer était devenue difficile: lors de sa visite en début d'année,« Spbëre» n'avait pas recommandé son maintien comme responsable militaire, et depuis, ses rapports avec Chavant ne s'étaient guère améliorés. Un incident tragi-comique allait d'ailleurs faire éclater l'inimitié latente qui régnait entre les deux responsables. Le 26 juin, un ordre était transmis d'arrêter un suspect. Clément, qui tentait de s'infiltrer et c'est Chavant«
clément », le  « patron» qui était intercepté sans ménagement par une formation du llème Cuir. Le lendemain, en représailles, les.  hommes de Chavant arrêtaient à leur tour et menaçaient Geyer. Quoiqu'on ait dit, Geyer et ses subordonnés ne semblent pas à l'origine de cette affaire. Celle-ci n'était peut-être que le résultat d'un coup monté, en dehors des protagonistes. Elle se terminera heureusement dans la sérénité.
(8) Sa première rencontre avec Chavant est bien connue: «
nous allons travailler ensemble, dit Chavant, je tiens à vous prévenir que je suis socialiste, anticlérical et antimilitariste. » Moi, répond Huet, je suis militaire de carrière, je ne fais pas de politique et je suis catholique pratiquant.» « J'aime les gens de caractère, rétorque Chavant, nous nous entendrons sûrement très bien.» Il semble bien qu'il en fut ainsi.
(9) L'effectif des arrivants dépassait beaucoup les prévisions, car à l'annonce du débarquement, rejoignirent le Vercors non seulement les homes des « compagnies sédentaires» dont la mobilisation avait été organisée, mais aussi des centaines d'individuels, souvent inconnus et sans aucune formation militaire. Dans cette foule, il était facile à l'occupant et à ses amis de glisser quelques mouchards à leur solde.

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