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Nous sommes tous de générations auxquelles on apprit, dans la famille comme à l'école, certains principes, apparemment bien dépassés, qui relevaient à la fois de la morale, du civisme et de la bienséance. Je me souviens avoir vu - il y a bien longtemps, c'est vrai - de vieux messieurs descendre d'un trottoir pour laisser passer une dame en accompagnant ce geste galant d'un courtois coup de chapeau. Je faisais partie de ces garçons qui passaient leur jeunesse debout dans les transports en commun, tant on avait d'occasions d'offrir sa place au dames, aux personnes âgées, aux femmes enceintes... Je me consolais de l'idée qu'un jour, mon tour viendrait où d'aimables jeunes gens se lèveraient pour me céder leur place. Or je suis bien obligé de constater que mes cheveux blancs ne me donnent droit à aucun égard particulier, et que je soulève une hostilité à peine dissimulée si, trop fatigué, je prétends bénéficier des droits illusoires de ma carte d'invalidité. Nous étions, surtout, de générations où le civisme et la morale étaient des matières enseignées en classe et dont on avait sans peine pénétré nos jeunes esprits. Nous y avions appris - croquis à l'appui - que l'on devait se découvrir lorsque passait le drapeau français, faire de même et se lever pour écouter la " Marseillaise ", notre hymne national. J'éprouve - oserais-je l'avouer - pour diverses raisons, quelques réticences à l'égard de cet hymne, sur le plan historique et même éthique. D'abord il tire son nom des bataillons de volontaires " marseillais " qui, sous la Révolution, montèrent à Paris pour rejoindre l'armée dans l'Est... Les dits volontaires étaient plutôt des bandes dont le trajet fut parsemé d'exactions et de souvenirs douteux et dont le comportement n'ajouta rien à la réputation des " sans-culotte ". Ses paroles ont vieilli et certains ont même vu dans le " sanguin pur " des relents de racisme ! Ce n'est l'hymne national que depuis un peu plus d'un siècle... Mais que de noblesse virile dans ses accents, quelle admirable musique guerrière, parfaite incarnation de l'esprit national. Et surtout, que de titres acquis. Ce fut à ses accents, en la chantant comme un défit solennel, que les martyrs de la Résistance tombèrent sous les balles des pelotons d'exécution. C'est à son rythme que se déroulent depuis si longtemps les grands moments de notre Histoire, c'est en la chantant que les lycéens et les étudiants remontèrent les Champs-Elysées le 11 novembre 1940. La " Marseillaise " vient spontanément aux lèvres de notre peuple, dans les instants les plus poignants de la vie nationale et quel homme de cœur n'a-t-il pas senti les larmes lui monter aux yeux, lors de son interprétation unanime, aux moments où tous les Français se retrouvent en communiant dans une même émotion qui vient du fond des siècles. Il se trouve, ainsi, des symboles laïcs qui, pourtant, touchent au sacré. Nous le savons tous, nous l'avons tous un jour ressenti, ne fut-ce qu'une fois. C'est la raison pour laquelle j'éprouve toujours un profond malaise lorsque lors de matchs de football ou de rugby, contemplant l'équipe adverse alignée au garde-à-vous et dont chaque joueur chante son hymne national durant son exécution, je vois l'équipe française se comporter sans dignité ni respect, durant l'exécution de la " Marseillaise ". Les bras dans le dos, mâchouillant des chewing-gum, tournant la tête de droite à gauche pour un ultime assouplissement, nos joueurs donnent dans 90% des cas l'image de malappris qui auraient peut-être plus de réaction sur leur visage si, au lieu de l'hymne national, on leur interprétait un tango. Il est fréquent, dans les congrès d'anciens combattants, que des vœux expriment notre désir de voir réintroduire les cours de morale et de civisme dans les écoles. Puis-je, à ces vœux pieux, et non suivis d'effet, ajouter celui de voir nos responsables de clubs sportifs donner des consignes élémentaires à leurs joueurs. Certes, il est, peut-être difficile à certaines vedettes, achetées à prix d'or à l'étranger de chanter un hymne qui n'est pas le leur. Qu'elles aient la décence de l'écouter dans une attitude respectueuse, et que leurs camarades français n'éprouvent aucune gêne à paraître bien élevés.
Philippe BOIRY
Doyen de la Faculté Libre
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